Une plongée dans la couleur des lacs… et dans votre boisson préférée

Pourquoi mesurez-vous cela?

Une série de billets de blogue sur les mesures de notre réseau

Liquides colorés

Qu’est-ce qui est blonde, ambrée ou brune et est requise – en abondance – par les équipes de terrain du Réseau du CRSNG sur l’état des lacs du Canada? La bonne réponse est « l’eau des lacs canadiens » : nos équipes de terrain collectent avec diligence des centaines d’échantillons d’eau dans le cadre de notre évaluation nationale des lacs. Vous auriez également raison si vous aviez répondu « une tasse de thé ». Certaines équipes de terrain préparent beaucoup de thé… et poursuivent même leurs exercices de yoga où qu’elles soient!

Si le vin a ses sommeliers, la bière ses cicerones, notre réseau a son « groupe d’optique et de télédétection » (ou « geeks de la couleur ») spécialement formé pour étudier la clarté et la couleur des lacs du Canada. Nous oserons d’ailleurs suggérer que vous n’avez jamais vraiment pensé à la couleur de l’eau des lacs, à ce qui la cause et à la façon dont elle peut être utilisée pour suivre l’état de santé des lacs canadiens. Ne craignez rien, nos « geeks de la couleur » sont là! Ils étudient les détails de la façon dont la lumière du soleil, l’eau et la myriade de substances qui s’y trouvent interagissent. Regardez notre vidéo ci-dessous!

Si vous étiez une mouche noire ou un moustique qui volait autour d’un de nos bateaux (nous n’avons vraiment pas besoin de vous là-bas, il y en a déjà suffisamment!), vos nombreux yeux verraient une équipe de terrain pointant des instruments qui ressemblent à des pistolets vers le ciel et vers l’eau, et puis déployer des instruments bizarres dans le lac. Ces instruments mesurent, de différentes manières, la couleur de l’eau et les propriétés physiques qui la déterminent.

Les pigments qui colorent le monde

En regardant dans une tasse à thé, vous êtes-vous demandé ce qui cause la couleur du thé? Une description simple, peut-être celle que seul un scientifique (ou un enfant) utiliserait, serait des « morceaux de plantes mortes ». Les plantes – comme tous les êtres vivants – sont principalement constituées d’eau et de molécules organiques (organique signifie simplement qu’elle provient de choses vivantes).

Les molécules organiques peuvent être des pigments qui donnent de la couleur aux feuilles, aux fruits et aux fleurs. Par exemple, une plus grande quantité du pigment « chlorophylle-a » rend le gazon du voisin plus vert. De manière spectaculaire, la chlorophylle qui se dégrade dans les feuilles l’automne permet à d’autres pigments, les caroténoïdes et anthocyanines, d’apparaître et de transformer nos forêts du vert en différents tons de jaunes, oranges et rouges. Une explosion de couleurs comme la décoration des années 70…

Les différentes couleurs du thé (jaune, vert, rouge, marron) proviennent d’une seule espèce végétale – Camellia sinensis – parce que les feuilles sont soumises à différents processus de transformation (vapeur, séchage, oxydation, chauffage) qui altèrent la teneur en pigments. Lorsque les feuilles de thé sont imprégnées d’eau, les pigments (et les saveurs) sont relâchés et se dissolvent dans l’eau du thé.

Dans le cas de l’eau brunâtre des lacs, le bassin versant agit comme le sac de thé, car l’eau qui s’écoule à travers celui-ci emprunte la couleur de la végétation en décomposition qui se trouve à la surface du sol et dans les milieux humides. Les lacs sont les tasses de thé qui recueillent cette eau colorée, qui varie du jaune, au brun, au bordeaux. S’il y a beaucoup de vieux matériel végétal fortement oxydé, le lac est très sombre. Mais, s’il y a très peu de matière végétale décomposée, l’eau du lac sera claire et sera bleue lorsque vue d’en haut. Ainsi, la couleur des lacs est généralement causée par des changements dans la quantité (et dans une moindre mesure le type) de « molécules de plantes mortes » dissoutes, que les scientifiques appellent la « matière organique dissoute colorée » (MODC) ou des tanins.

Absorption – au revoir photons!

Si, contrairement à nous, vous êtes un connaisseur de thé, vous buvez probablement votre thé dans une tasse en porcelaine blanche et vous mesurez parfaitement le temps avant de retirer les « morceaux de plantes mortes » (le sac de thé), obtenant ainsi la couleur et le goût parfaits. La MODC dans votre thé a la propriété « d’absorber » le violet et le bleu de la lumière qui passe dans votre thé. Cela signifie que les photons bleus et violets ont été enlevés, et seuls les photons d’autres couleurs (jaunes, verts et rouges – selon les feuilles de thé) peuvent passer à travers l’eau de votre thé, se refléter sur la tasse blanche et retourner vers votre œil qui en interprètera la couleur.

Diffusion : de minuscules particules qui jouent au billard avec des photons

Exactement la même chose arrive dans l’eau du lac. Cependant, la lumière ne frappe pas le fond du lac (à moins qu’il soit très clair ou peu profond), elle est interceptée par beaucoup de petites particules flottantes, et certains photons rebondissent dans votre œil – voilà, la couleur du lac! Votre œil reçoit un cocktail de photons de différentes couleurs (ceux qui n’ont pas été absorbés), et vous percevez la couleur du lac – généralement jaunâtre, verdâtre ou brunâtre.
Ainsi, les particules flottantes dans l’eau du lac sont extrêmement importantes pour nos « geeks de la couleur », car elles « diffusent » la lumière. Pour expliquer cela, supposons maintenant que vous avez scellé très soigneusement, par erreur (apparemment une erreur qui a été répétée depuis plusieurs milliers d’années), un peu de « thé d’orge » (avec l’orge) dans une bouteille, et vous l’avez laissé là quelque temps. Vous constaterez que beaucoup de mousse sera créée lorsque vous ouvrirez votre bouteille en raison de l’accumulation de CO2 libéré par la levure pendant la fermentation (et de protéines qui agiront pour stabiliser les bulles). Votre délicieux thé d’orge est maintenant ruiné parce qu’une substance neurotoxique, l’éthanol, s’est accumulée dans le thé, et vous devrez prendre des précautions lorsque vous le consommerez. Avant de le faire, cependant, vous vous demanderez probablement, « si mon thé à l’orge est brun, alors pourquoi est-ce que la mousse est blanche? ». Si vous demandez à nos « geeks de la couleur », ils vous répondront probablement quelque chose du genre :

« L’interaction des photons avec des couches successives d’air, d’eau et d’air qui ont des indices de réfraction différentes, conduit à une section efficace de diffusion élevée pour les bulles individuelles. La fraction rétrodiffusée dans votre œil traverse ainsi une couche optiquement très mince et n’est pas influencée par la partie imaginaire de l’indice de réfraction de la peau des bulles. Comme les bulles sont grandes par rapport à la longueur d’onde, la rétrodiffusion est spectralement neutre. Cela peut être modélisé facilement par un modèle de sphères avec coquilles et des simulations de transfert radiatif. »

Comme nos lecteurs le savent, le jargon scientifique est complètement proscrit sur ce blogue! Au lieu de cela, nous préférons dire (même si l’explication n’est pas aussi précise) que lorsque la lumière atteint la mousse, elle est reflétée très efficacement peu importe sa couleur par chaque bulle (comme des petits miroirs). Ainsi, la lumière ne peut pas entrer profondément dans la partie mousseuse du thé à l’orge ruiné et n’est pas absorbée; la lumière qui rebondit sur vos yeux est de la même couleur que lorsqu’elle frappe la mousse (si vous voulez une mousse bleue, regardez-la sous la lumière bleue!). La lumière du soleil est blanche parce que c’est essentiellement toutes les couleurs mélangées (rappelez-vous le prisme de Pink Floyd). En tout cas, le processus qui mène à la « réflexion » de la lumière par les bulles ou des particules s’appelle la diffusion. La diffusion par des particules microscopiques dans l’eau est très importante lorsque nous observons la couleur du lac, car c’est la raison pour laquelle nous voyons la lumière sortir des lacs! Sans elle la lumière poursuivrait son chemin et ne reviendrait pas vers nos yeux. Merci minuscules particules!

Phytoplancton : mini paquets de chlorophylle flottant dans l’eau

En plus de la MODC, un autre élément clé qui modifie la couleur de l’eau est le phytoplancton. Ce sont de minuscules algues et des bactéries photosynthétiques qui flottent dans les lacs (et dans presque toutes les eaux de surface du globe). Ces minuscules algues sont généralement vertes ou brunâtres. De la même manière que votre smoothie au chou frisé est vert, les lacs avec beaucoup d’algues deviennent verts. C’est parce que les algues et l’eau absorbent la lumière bleue et rouge, et seule la lumière verte atteint l’œil. Dans certains lacs, une augmentation du phosphore (l’un des principaux produits chimiques présents dans les engrais et qui ruisselle souvent dans les lacs dans les territoires agricoles) peut déclencher une prolifération d’algues qui tournent l’eau au vert. Les cyanobactéries font partie du phytoplancton. Elles sont souvent plus abondantes dans les lacs dégradés. Elles sont alors responsables de la majorité de la couleur verte, mais de plus lorsqu’elles sont toxiques, elles peuvent rendre l’eau impropre pour la consommation.

Des lacs à l’espace…

Pour les « geeks de la couleur », l’étude des caractéristiques optiques des lacs est intéressante en soi. En regardant la couleur (en fait, tout le spectre de la lumière sortant des lacs), ils peuvent dire ce qui se trouve dans l’eau. Encore des scientifiques qui rêvent en couleurs direz-vous… à quoi ça peut bien servir tout ça? Eh bien, ce qui est vraiment intéressant, c’est que la couleur du lac peut être observée à partir de l’espace par des satellites. D’ailleurs, avec les récents progrès technologiques, nous pouvons observer des lacs beaucoup plus petits que ce qui était possible il y a à peine trois ans. Cela signifie que nous pouvons observer et suivre les changements de plusieurs centaines de milliers de lacs au Canada à partir d’images satellites.

Dans quelques années, les scientifiques de Lake Pulse fourniront des estimations de la MODC et du phytoplancton dans la plupart des lacs au Canada à partir de la télédétection spatiale! La MODC est importante non seulement parce qu’elle modifie la couleur des lacs, mais aussi parce qu’en concentration suffisamment élevée, elle réduit la lumière disponible pour les algues et les plantes. Bien sûr, les cyanobactéries et autres phytoplanctons sont indésirables en trop grande quantité et leur présence excessive indique souvent des lacs dont les conditions naturelles ont été modifiées. La couleur du lac nous fournira donc un outil précieux pour observer et surveiller la santé des lacs au Canada à partir d’images satellites.

Conseils pour la survie en présence de thé à l’orge ruiné

Enfin, nous avons été surpris par le nombre de conseils de survie offerts par nos équipes de terrain. Apparemment, si vous êtes vraiment coincé et que vous n’avez plus rien à boire, au lieu de risquer la déshydratation, l’équipe Jaune rapporte que vous pouvez boire du thé à l’orge ruiné en petites quantités. L’équipe Verte dit qu’il est mieux froid et recommande l’utilisation d’une bouteille Van Dorn pour recueillir de l’eau de l’hypolimnion (eau du fond du lac) pour le refroidir.

Dans notre réseau, notre équipe d’élite Bleue est déployée pour l’échantillonnage difficile des lacs du Nord. Ils ne comprennent pas trop pourquoi les autres équipes ont autant de mal à fabriquer leur thé à l’orge. L’équipe Bleue recommande leur protocole de thé : faire du thé frais à l’aube, utiliser de l’eau à 80 °C, ne pas conserver dans des récipients hermétiques.

L’équipe Bleue n’a jamais vu de mousse sur leur thé. Ils ont cependant détecté un effet optique par l’ajout d’un nuage de lait qui blanchit le thé. Notre directeur, Yannick Huot, a passé quelques semaines éprouvantes à tenter de suivre l’équipe Bleue, et il a cependant contribué par sa brillante opinion sur le sujet :

« Le lait qui a été homogénéisé contient beaucoup de particules lipidiques microscopiques en suspension. La grande taille des particules par rapport à la longueur d’onde ainsi que le faible indice de réfraction imaginaire et réel des lipides conduit à un court trajet des photons rétrodiffusés dans l’eau et, par conséquent, ces photons ont la même signature spectrale que la lumière incidente. Le phénomène peut être facilement modélisé par une simple application de la théorie Mie et de simulations de transfert radiatif en milieu aqueux. »

Nous, au Centre administratif, conseillons à l’équipe Bleue de continuer à utiliser son protocole de thé, car il s’agit d’une boisson beaucoup plus saine que le thé à l’orge glacé et ruiné. Au lieu de l’explication du directeur pour la couleur du thé laiteux, lisez l’explication qui a été donnée ci-dessus pour la mousse sur le thé à l’orge ruiné. Finalement, l’équipe Rouge rapporte que vous pouvez trouver du thé à l’orge ruiné dans n’importe quelle microbrasserie.

Maintenant, nous vous suggérons de profiter de votre boisson préférée et des couleurs de l’automne!

(Psst… une autre vidéo de nos archives sur la télédétection et le phytoplancton!)